<< Retour aux articles
Image  article

Le béton de mâchefer : un risque sanitaire encore ignoré par le droit français

Affaires - Sociétés
Immobilier - Immobilier
Public - Public
10/06/2025

Utilisé massivement après-guerre pour construire à moindre coût, le béton de mâchefer s’invite aujourd’hui dans le débat juridique et sanitaire. Constitué de résidus de combustion — parfois issus de l’incinération de déchets ménagers — ce matériau pourrait contenir des substances toxiques telles que l’arsenic, le plomb, les dioxines ou les furanes. Pourtant, ni la réglementation française, ni le droit européen ne prévoient à ce jour de régime spécifique interdisant ou encadrant son utilisation dans le logement.

Cette lacune juridique majeure empêche l’identification et la prise en charge des immeubles potentiellement contaminés. En l’absence de textes précis, aucune politique publique de recensement ou de traitement n’a vu le jour. Ce vide crée une insécurité pour les occupants, qui restent dépourvus de protection spécifique, malgré des risques sanitaires bien identifiés.

Face à cette inertie réglementaire, la jurisprudence judiciaire joue un rôle progressif. En matière locative, plusieurs décisions ont confirmé la responsabilité du bailleur pour défaut de salubrité (Civ. 3e, 4 juin 2014, n°13-12.314), et les actions en vices cachés peuvent être envisagées lorsque la toxicité du béton de mâchefer est démontrée. Toutefois, les juridictions exigent une preuve scientifique concrète du danger dans chaque cas d’espèce, refusant de condamner ce matériau sur sa seule présence. Cette prudence s’explique juridiquement, mais elle freine les mesures de précaution qui pourraient être prises en amont.

Sur le plan pénal, la dangerosité du mâchefer a été reconnue à travers une affaire retentissante en 2017, impliquant un trafic de déchets industriels. Bien que le cas concernait des remblais agricoles, il souligne l’impact environnemental du mâchefer et la légitimité des craintes concernant son usage dans les logements.

Enfin, la responsabilité de l’État pourrait être engagée. Plusieurs associations dénoncent un laisser-faire historique, facilité par une circulaire permissive datant de 1994. À l’instar du scandale de l’amiante, certains redoutent que l’État n’ait tardé à agir, malgré la connaissance des risques. Des actions collectives et contentieuses pourraient ainsi émerger, réclamant l’adoption de normes sanitaires, des campagnes de repérage ou encore des aides à la dépollution.

Il est temps que le droit cesse d’ignorer ces murs qui nous empoisonnent en silence. Le béton de mâchefer, s’il est reconnu toxique, doit faire l’objet d’une prise en charge juridique adaptée. Une réglementation claire, couplée à une mobilisation des acteurs publics, permettrait d’anticiper les contentieux futurs et de protéger efficacement les occupants des logements concernés.